Il faudrait manger moins de viande
La population augmente. Il faut la nourrir. Ou alors consommer autrement ;
Des chercheurs ont calculé que le défi alimentaire pourrait être surmonté, on pourrait nourrir neuf milliards de Terriens sans déforestation supplémentaire... mais seulement si on réduisait la consommation de viande et le gaspillage alimentaire. Le problème ne serait pas le nombre des hommes, mais leur façon de vivre... En effet, produire des céréales pour engraisser des animaux puis consommer ces animaux ensuite, nécessite beaucoup plus de terre agricole que lorsque nous consommons directement les céréales. Il "suffirait" donc de consommer moins de viande pour avoir assez de terre. C'est mathématique. Peut-on réduire la consommation de viande ?La viande rouge n’est pas verteIl est vrai, on le sait depuis des siècles, qu’une alimentation principalement végétarienne est économe en ressources : « De même, les habitants d’Achem, dans l’île de Sumatra, ne sont pas exigeants. "Le riz fait leur seule nourriture, dit un voyageur en 1620 ; les plus riches y joignent un peu de poisson et quelques herbages. Il faut être grand seigneur à Sumatra pour avoir une poule rôtie ou bouillie… Aussi disent-ils que 2000 chrétiens dans l’isle l’auraient bientôt épuisée de bœufs et de volailles." [...] On sait, depuis des siècles, que les animaux d’élevage sont nos propres concurrents dans la course à la gamelle, ils nous volent le pain de la bouche ! Les Bretons le savent, à qui on chantait : "Les pommes de terre pour les cochons, Aujourd’hui, les cochons laissent les pommes de terre pour les Bretons, ils mangent maintenant maïs, soja, etc. Il faut environ 9 calories végétales pour produire une calorie en viande bovine [0]. C'est pourquoi un hectare de terre peut nourrir trente personnes en produits végétaux, mais beaucoup moins en produits animaux. Si les terres consacrée à l'alimentation animale produisaient directement pour les hommes, sans passer par l'étape "viande", on pourrait ainsi nourrir plus d'hommes, sans avoir besoin de raser la forêt d'Amazonie. La terre est surpeuplée… d'animaux d'élevage ! 100 milliards d'animaux d'élevage sont abattus chaque année, sans compter les animaux aquatiques. Outre le gaspillage de terre, la consommation de viande est aussi responsable d'une partie du réchauffement climatique. En effet – ce n’est pas une gauloiserie – les rots et les pets des ruminants seraient responsables de 35 % des émissions de méthane, un redoutable gaz à effet de serre. Il ne faut donc pas hésiter, il n’y a là rien de séditieux, c’est écologique, on peut crier : "Mort aux vaches!" Tout compris, la production d’un kilo de viande de veau rejette autant de gaz à effet de serre qu’un trajet en voiture de 200 km. Selon un rapport de la FAO : « Rearing cattle produces more greenhouse gases than driving cars ». La traduction académique serait : "l’élevage produit davantage de gaz à effet de serre que la circulation automobile". Une traduction plus libre : "Mieux vaut un végétarien roulant en 4X4 Notre animal préféré, c’est le bifteckLa viande rouge n'est pas verte, c'est entendu, il faudrait manger moins de viande. Le problème est que nous sommes bien disposés à faire un effort, et même à sauver la planète... mais quand même pas au point de nous priver, et certainement pas au point de renoncer à la viande, notre vrai « péché de chair » – s’il en fut jamais. Notre animal préféré, c’est le bifteck ! On peut nous demander d’utiliser des ampoules basse consommation, de frimer au volant d’une voiture électrique ; mais touche pas à mon steak ! Lorsque notre pouvoir d'achat le permet, nous choisissons instinctivement une viande goûteuse plutôt qu’une bouillie de céréales. C'est pourquoi la consommation de viande augmente avec les revenus. Parce que les hommes aiment la viande, depuis les temps où ils chassaient dans la forêt [1]... demandez à Obélix. Les chasseurs amateurs de viande que nous fûmes, que nous sommes encore, ne deviendront pas rapidement massivement des homo-vegetarianus. On aime la viande au point d'en consommer trop en dépit même des recommandations de la faculté qui met en garde : trop de viande, ce n’est pas bon pour la santé. Harpagon le savait déjà lorsqu’il applaudissait aux paroles de Valère : « Monsieur a-t-il invité des gens pour les assassiner à force de mangeaille ? […] Mais l’Harpagon, modèle d’écologie, est une espèce en voie de disparition. Les pays développés consomment aussi de la viande, indirectement, par ce qu’ils donnent à leurs animaux de compagnie. On a même vu des végétariens pratiquants nourrissant amoureusement leur chat de bons morceaux de viande fraîche [2]. "Il est si mignon !" Dans d'autres pays on aurait plutôt tendance à manger chiens et chats . En 1911 il y avait une boucherie canine à Paris. « Un végétarien qui parcourt chaque année 7 000 kilomètres en voiture et 12 000 kilomètres en avion n’émet pas plus de CO2 qu’un écolo omnivore qui prend le vélo, ne part pas à l’étranger, mais possède un chien. » (La Facture des idées reçues – Fabrice Houzé) La fracture planétaireLes pays développés consomment trop de viande par personne (et par animal de compagnie...) ; mais leur consommation se stabilise. Pendant ce temps, les foules des énormes pays émergents consomment peu de viande par personne. Mais elles y prennent goût, et, le niveau de vie croissant, la consommation globale de viande croît aussi, en Chine, au Japon, en Asie du Sud Est, même en Inde !, dans tous ces pays dont la sobriété carnée faisait l’admiration des observateurs autrefois. La Chine est devenue le premier consommateur de viande au monde ! « Au niveau planétaire, la tendance de la consommation de viande à augmenter avec le niveau de revenu l’emportera sur sa tendance à diminuer dans les pays où la consommation par habitant est déjà élevée. » (Perspectives agricoles de l’OCDE et de la FAO 2016-2025)
(D'après Statistiques de l'OCDE - L'OCDE correspond approximativement à l'ensemble des pays développés) La consommation de viande dans le monde augmente.
La consommation de viande dans le monde croît, et cette croissance est inéluctable car elle vient... de ceux à qui on ne peut pas demander d'en consommer moins ! Elle vient paradoxalement de ceux qui mangent peu de viande. Chacun en mange peu, mais ils sont nombreux, et ils en consomment chaque jour un petit peu plus au fur et à mesure que leur pouvoir d'achat augmente. C'est pourquoi la consommation de viande dans le monde continuera à augmenter. ... Qui oserait prêcher aux Indiens de se contenter de leur petit peu ? « La demande de viande, de poisson et de produits laitiers enregistrera une progression relativement vigoureuse, entraînant une hausse de la demande d’aliments pour animaux, notamment de céréales secondaires et de tourteaux protéiques. » (Perspectives agricoles de l’OCDE et de la FAO 2016-2025) Il ne s’agit pas de dire que la partie est perdue d’avance, qu’il faut capituler face à la nature humaine, à notre héritage de primates, de chasseurs-cueilleurs mangeurs de gibier. Il s’agit de souligner qu'il faut tenir compte de la nature humaine gourmande si l'on veut passer du stade des vœux pieux – "Il faudrait consommer moins de viande" – à une recette ayant quelques chances de réussite. Dans la bonne recette il y a sans doute d’abord une grosse louche de communication, pour faire prendre la sauce, pour faire prendre conscience de l’ampleur du problème. Mais quel gouvernement prendra le risque de se mettre à dos les producteurs de viande ? Il faut ensuite ajouter une cuillerée de recherche. Tout le monde parle d’investir dans la recherche de nouvelles cellules photovoltaïques, de moteurs thermiques encore plus performants, ou autre ; mais pourquoi ne pas investir aussi dans la recherche gastronomique, pour proposer des recettes végétariennes attractives ? Par exemple une Tarte tatin aux oignons rouges et aux tomates séchées...
Une recette de cuisine, cela semblera sans doute bien peu de chose pour sauver la planète. Mais la conférence de Copenhague sur le changement climatique en décembre 2009, avec son grand jamboree – 130 chefs d’État ou de gouvernement ! – n'a pas été capable de proposer mieux ni aussi bon. Elle n’a même pas su accommoder la patate chaude du réchauffement climatique. Il est déjà arrivé que des recettes de cuisine sauvent des populations entières. Au XVIIIe siècle, la disette frappait la France, le blé manquait, et les Français se méfiaient des pommes de terre débarquées des Amériques. C’est par la ruse que Parmentier réussit à les inciter à goûter ce tubercule nouveau : il fit ostensiblement garder des champs de pommes de terre par les soldats du roi, le jour, laissant imaginer qu’il s’agissait donc de choses précieuses. Mais les soldats se retiraient la nuit, ce qui était une formidable invitation pour les populations, par la ruse alléchées, de se risquer au chapardage sans ramage. Elles chapardèrent dans les champs du roi lorsque la nuit fut venue, inventèrent des recettes, trouvèrent que cela était bon, et le hachis parmentier a vaincu la disette. C’est par le même genre de ruse que le capitaine James Cook sauva les marins du scorbut lors de l'exploration des immensités du Pacifique. Il s’agissait d’inciter les marins à manger du chou (on sait aujourd’hui pourquoi il est efficace contre le scorbut : il est riche en vitamine C) : « Au début, les hommes refusèrent la choucroute, jusqu’à ce que j’eusse mis en pratique une méthode que je n’ai jamais vu échouer sur des marins : c’était d’en faire servir chaque jour à la table de cabine, et d’autoriser tous les officiers sans exception à en faire usage, laissant aux hommes toute liberté d’en prendre autant qu’ils désiraient, ou point du tout. Cette pratique ne dura pas plus d’une semaine avant que je dusse rationner tout le monde, car tels sont le tempérament et la disposition des marins en général que, quoi qu’on puisse donner qui sorte de l’ordinaire, fusse pour leur plus grand bien, cela ne leur agrée point, et ce ne sont que murmures contre celui qui en fut l’inventeur ; mais dès l’instant où ils voient leurs supérieurs y attacher du prix, alors, cela devient la plus belle chose du monde, et son inventeur un bien brave homme. » (James Cook, journal de bord) Mais ces exemples de réussite sont rares ; le plus généralement les populations résistent aux changements de régime alimentaire (et plus largement au changement en général). Les Vikings du Groenland auraient disparu parce qu'ils n'auraient pas su changer leurs habitudes alimentaires pour manger du phoque. Il aurait peut-être suffi d'une bonne recette de cuisine pour les sauver. Réduire le gaspillage alimentaire... [...] ...
[0] Les animaux d'élevage gaspillent l’énergie de leur alimentation. Ils l’utilisent pour se déplacer, pour leur métabolisme, pour produire de la chaleur animale… (c'était même un moyen de chauffage autrefois dans les chalets de montagne, l'étable jouxtant, chauffant et parfumant la pièce à vivre)… L'énergie qui reste est utilisée pour fabriquer la viande et ses protéines ; c'est une usine à protéine de faible rendement. [1] Notre appétit pour la viande remonte à plus loin encore. Caïn l’agriculteur offrait des graines, Abel le pasteur offrait ses meilleurs agnelets… Et Dieu lui-même montra une telle préférence pour la viande savoureuse des agnelets que Caïn finit par haïr et tuer son frère. Le premier crime de l’humanité – pour quelques viandes en plus, les dollars n’existaient pas encore. [2] Le livre Time to Eat the Dog: The Real Guide to Sustainable Living, (au titre provocateur !) a calculé qu’un chien de taille moyenne a le même impact écologique que 20 000 Km par an en 4X4.
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Mise à jour : 29 novembre 2022