Le bon vieux temps, c'est aujourd'hui
Jamais nous n’avons autant craint d’être empoisonnés par l’air que nous respirons, l’eau que nous buvons, le pain que nous mangeons ; jamais nous n’avons autant soupiré en songeant au "bon" vieux temps. Pourtant, jamais nous n'avons vécu aussi longtemps en bonne santé, jamais l’espérance de bonne vie n’a été aussi élevée, affolant les gestionnaires des organismes de retraite.
Nous avons la nostalgie d'un mythique bon vieux temps. C'était mieux avant. Mais... Qui veut troquer un seul aujourd’hui, même imparfait, Le pauvre hère du bon vieux temps vivait naturellement (mal), se chauffait naturellement (mal), mangeait naturellement (mal) ; il avait l'estomac naturellement pourri par une nourriture sans variété, mal conservée ; il mourait naturellement (mal), à quarante ans, sans dents depuis longtemps. Nous vivons maintenant dans un monde moderne plus sain, moins pollué, plus sûr, plus civilisé, moins brutal. On peut se promener en sécurité la nuit, sans arme. Le taux d'homicides a été divisé par 10 depuis le temps de Roméo et Juliette, lorsqu'on ne sortait qu'avec l'épée au côté [1]. Le bon vieux temps, c'est aujourd'hui. Mais nous n'en sommes pas conscients car nous avons oublié la réalité du vieux temps ; nous en rêvons comme d'une partie de campagne ensoleillée, dans la paix de la verdure si ce n'est le chant des oiseaux, le murmure d'un ruisseau, le souffle de la brise... Nous comparons ce joli rêve, ce n'est vraiment qu'un rêve, aux nuisances, bien réelles, d'aujourd'hui – usines, autoroutes, embouteillages, le bruit, la foule... et c'est le rêve enjôleur qui gagne, évidemment... Mais dans la vie réelle, les quelques peuplades qui vivent encore dans la forêt ont bien compris les avantages du monde moderne. Elles savent qu'on y trouve des dispensaires qui soignent, qui permettent de vivre mieux plus longtemps. Paradoxalement, ce sont ceux qui vivent dans le monde de la modernité et bénéficient de tous ses avantages qui accusent la modernité d'être une menace pour leur santé. Ils sont terrorisés par les ondes radio ; sauf celles de leur smartphone ; par les "produits chimiques", sauf ceux de leur placard à produits ménagers ; par la pollution des pots d'échappement, sauf celle de leur voiture ; et autres calamités supposées des temps modernes. Ils sont persuadés que les techniques modernes les font mourir à petit feu... ils en sont persuadés, mais, bon... pas au point de retourner vivre dans la forêt sans smartphone. Les techniques nouvelles inquiètent, comme toute nouveauté. Il est vrai que nous avons créé quelques risques nouveaux. Aucun ménestrel chanteur n'est décédé par électrocution dans sa baignoire au Moyen Âge – il n'y avait pas de baignoires. Mais face à quelques risques d'électrocution, tant de calamités massives ont été vaincues grâce à nos techniques. Les vaccins protègent des épidémies, les pesticides repoussent les pestes, les barrages contiennent les débordements des torrents – La Fontaine en chantait les mérites : « [La Loire] ravagerait mille moissons fertiles, Il manque un La Fontaine moderne pour chanter la vraie belle histoire ; non pas celle d'un mythique "bon" vieux temps, mais celle que les hommes écrivent jour après jour. L'espérance de vie, hier et aujourd'huiJamais nous n’avons autant craint d'être empoisonnés par l’air que nous respirons, l’eau que nous buvons, le pain que nous mangeons. Pourtant, jamais nous n'avons vécu aussi longtemps en bonne santé, jamais l’espérance de bonne vie n’a été aussi élevée, affolant les gestionnaires des organismes de retraite. Dans la Rome impériale, l'espérance de vie à la naissance était d’environ 25 ans. Passée la période des maladies infantiles, l'espérance de vie d'un Romain était de 41 ans, d'une Romaine 29 ans. On n’a pas connaissance d’un marchand de teinture des cheveux blancs qui ait fait fortune à Rome en ces temps-là. L'espérance de vie à la naissance est de 80 ans aujourd’hui en France. Elle a crû de près de 30 ans en un siècle, et continue à augmenter de trois mois chaque année. C'est-à-dire que à chaque année de 12 mois qui passe, nous vieillissons... de 9 mois seulement !
D'après statistiques de la commission européenne. • Healthy Life Years at birth = espérance de vie "en bonne santé" à la naissance (ou "espérance de vie sans incapacité") • Health expectancy at birth based on self-perceived health for men = espérance de vie "en bonne santé perçue". EXERCICE : en supposant que le rythme de progression de l’espérance de vie se maintienne, calculer à quelle date sera battu le record du monde de la spécialité, actuellement détenu par le fameux Mathusalem – 969 ans. Vous avez trois heures. À quarante ans le Moyenâgeux moyen était un vieillard, les vertèbres usées par le travail, les poumons encrassés par la fumée. . À quarante ans Raymond Poulidor était jeune encore, il terminait second – évidemment second (que le brave Raymond, où qu'il soit, me pardonne ce facile clin d’œil) – aux championnats du monde de cyclisme sur route. Le vieillissement entraîne des limitations, inéluctables, et l'espérance de vie "en bonne santé perçue" mesure comment sont perçues ces limitations, cet inconfort éventuel, par ceux qui les vivent – avec la perception qu'ils en ont à leur âge. L'écart entre les deux courbes du diagramme précédent se comprend aisément par l'exemple d'une personne pratiquant le jogging. Vers 65 ans cette personne s'arrête de courir en raison de problèmes de dos. Elle n'est donc plus en "bonne santé sans incapacité", puisque incapacité il y a. Pourtant cette personne se ressent encore en bonne santé, et s'adapte en passant de la course à pied au vélo ou à la marche ; elle est encore "en bonne santé perçue". La bonne santé perçue n'exclut pas quelques limitations. "La retraite faut la prendre jeune - faut surtout la prendre vivant. C'est pas dans les moyens de tout le monde." (Michel Audiard). Cet humour est daté. Aujourd'hui, l'augmentation de l'espérance de vie fait que prendre sa retraite vivant est "dans les moyens de presque tout le monde". Plus loin dans le passé il n'y avait pas de retraite. ...[...]...
[1] Sur l'ensemble de la planète il se passe chaque jour nombre d'évènements dramatiques. Le bulletin d'information à la radio les rassemble tous en un instant. C'est cette concentration de drames, même lointains, qui donne la fausse impression que le monde aujourd'hui est violent. Auparavant on ne connaissait que les évènements locaux.
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Mise à jour : 18 janvier 2023