La croissance durable… une grenouille plus grosse que la planète
Nous consommons déjà trop, au-delà de ce que la planète peut régénérer. Il n'est pas sage d'en rajouter une couche en recherchant encore plus de croissance, fût-elle dite durable. La croissance durable ce serait la fable d'une planète aux œufs d'or. C'est surtout laisser à nos enfants une planète aux mines vides, aux puits asséchés, aux forêts rasées. Mais d'un autre côté, la décroissance pourrait amener le chaos économique et social. Parce que la décroissance nécessiterait le partage des ressources et du travail. Mais la vie est plus compétition que partage. Pourrons-nous éviter tous ces écueils grâce à quelque avancée technique ?
La croissance durable : une poule aux œufs d'or immortelle ?La croissance "CO2-free" n'existe pas encore ? (voir Le pouvoir d'achat n'est pas CO2-free) Mais alors, inventons-la ! C'est ainsi que les pays développés ont inventé le concept de croissance durable qui se décline ainsi : "Nous consommons trop ? Qu'importe, continuons ! Continuons à consommer, à consommer plus et à croître encore, il suffit que ce soit une croissance durable. L'idée, ou le rêve, ou l'utopie, est de réussir à décorréler la croissance du PIB et les impacts environnementaux. Il s'agirait de répondre davantage aux demandes présentes de populations qui augmentent, mais en préservant les possibilités de développement futur. Pour préserver le futur, la croissance durable doit donc se faire, Ce rêve, cette utopie s'appuie sur le rêve d'énergies renouvelables assurant 100 % de nos besoins, aussi bien pour la production d'électricité que pour les transports, et le rêve du recyclage des matières premières. Dans la réalité, à technique constante, une croissance planétaire ne peut que buter tôt ou tard sur les limites de la sphère terrestre. Le problème d'une sphère est qu'elle est finie. La plus belle sphère du monde ne peut donner que ce qu'elle a. Ses ressources sont finies, elles s'usent quand on s'en sert, comme les piles. Le pétrole s'use, il est finissant "par essence". Continuer à croître signifie laisser en héritage à nos enfants une planète aux mines vides, aux puits asséchés, aux forêts rasées. La croissance, même abusivement dite durable, c'est la fable d'une planète aux œufs d'or ; c'est le miracle d'une mine sans fond ; c'est le prodige d'une grenouille qui veut se faire plus grosse que la planète, qui gonfle, qui gonfle… et qui n'éclate pas ! Un sortilège exauçait les vœux que formulait le héros de "La peau de chagrin". Le problème est qu'à chaque vœu exaucé, le héros se rapprochait de sa fin, sa vie rétrécissait... comme peau de chagrin. La croissance est un sortilège de la même sorte. Elle exauce nos vœux en nous permettant d'acquérir de nouveaux biens... mais à chaque vœu exaucé, la planète va plus mal. La croissance verte ? – du daltonisme. La croissance durable ? – un oxymore. La décroissance ? – un gros mot. Décroissance - chômage - chaosOn connaît les vertus de la sobriété depuis l'Antiquité, depuis Diogène, Lao-Tseu, Lucrèce, qui nous ont laissé leurs bons conseils : « Celui qui sait se contenter de peu est toujours satisfait. ». Ils avaient compris que rechercher à avoir toujours plus, c'est s'auto condamner à être toujours insatisfait – par définition même de "rechercher à avoir toujours plus". Mais les conseils des sages... s'adressent aux sages. Les gens "normaux" ont une bonne image de la sobriété, mais restent non-pratiquants. Ils en ont l'image de la sagesse, de la maîtrise des désirs, mais quand il s'agit de passer à l'acte, de consommer moins, les vocations se font rares (voir La sobriété n'est pas naturelle). La société de consommation a encore de beaux jours devant elle. ... Les économistes en sont soulagés. Car ce qu’ils craignent eux, c’est la sobriété, laquelle amène la décroissance, laquelle peut amener le chaos. Parce que nous sommes dans une machine qui a besoin d'avancer pour ne pas s'écrouler ; comme la bicyclette, comme le skieur nautique qui s'enfonce quand il n'est plus tiré, ou comme le parachute ascensionnel. Nos systèmes économiques aussi ont besoin d'avancer, ont besoin de croissance. « La vie, c'est comme une bicyclette, il faut avancer pour ne pas perdre l'équilibre », (Albert Einstein) Sobriété = moins de consommation = moins de production = décroissance = compétition = faillites des plus faibles = qui entraînent faillite des autres = effondrement de l’économie = chômage à bord du navire-planète = chaos. Nous sommes condamnés à naviguer entre deux écueils : Croissance à babord ► épuisement des ressources et réchauffement climatique ► chaos économique et social. Décroissance à tribord ► chômage ► chaos économique et social. Les remous gigantesques de la décroissance épouvantent les passagers autant que les officiers sur la passerelle. Tous refusent de s’en approcher, parce que tout le monde sait que personne ne sait les bonnes manœuvres pour les contourner, et aucun capitaine n'est prêt à s'aventurer le premier par crainte que les autres bateaux profitent de ses tâtonnements pour le dépasser. La décroissance subie, c'est le chaos. Pourrait-on organiser une décroissance heureuse ? Dans un monde idéal peuplé d'hommes idéals peut-être. Ce serait un monde idéal où le travail, les revenus, le temps libre, seraient idéalement partagés, pas ce monde d'aujourd'hui où des travailleurs surmenés, épuisés, au bord du burn-out, côtoient des chômeurs angoissés ; tous travailleraient – mais moins ; tous gagneraient – mais moins ; tous achèteraient – mais moins. La vie est compétition - "struggle for life"Mais comment éviter que quelques-uns, mieux dotés, plus débrouillards, ne cherchent à profiter de leurs avantages pour dépasser les autres ? Compétition ou partage ? Quel employé accepterait librement de partager son travail et son salaire pour les répartir entre tous ? Partager le travail peut-être, mais le salaire [3]... Quelle entreprise accepterait librement de ne pas tenter d'accroître sa part de marché et de le partager avec ses concurrentes ? Les belles idées de partage, de mise en commun, qui étaient celles du communisme avant qu'il devienne soviétique, n'ont pas résisté à la confrontation avec la réalité. On a voulu plier la nature humaine au partage ; elle n'a pas plié. On a voulu créer un homme nouveau, on a créé des goulags. À part Saint Martin, qui accepte de partager ? Dans la réalité, les hommes ne sont généralement pas partageurs. Même si on connaît quelques exceptions qui suscitent toujours l'admiration et l'étonnement tant elles sont inhabituelles ; on raconte encore, plus d'un millénaire après, l'histoire de Saint Martin qui partagea son manteau avec un mendiant transi. Nous sommes capables de générosité et de partage. Mais seulement pour partager le superflu, pas pour se priver de la moitié de son manteau [4]. La vraie vie est plus souvent compétition que partage. La compétition est même une loi de la nature, les hommes n'en ont pas l'exclusivité, elle règne dans le monde végétal et animal (on appelle ça la lutte pour la vie), entre entreprises (on appelle ça la concurrence), entre groupes sociaux (on appelle ça la lutte des classes), entre États (on appelle ça la guerre). C'est l'effet des "gènes de la meute" (Voir La nature et les hommes - L'ADN hérité de la savane) La compétition anime encore le jeune cadre dynamique, impatient de se lever le matin, impatient de se faire valoir à ses yeux et aux yeux des autres, impatient de s'imposer, de gravir les échelons du pouvoir dans son entreprise, impatient de prestige, ou au minimum de "gagner dix dollars de plus que son beau-frère". C'est le même instinct qui se fait entendre lors du brame du cerf pour conquérir une harde. Chacun s'active pour dépasser les autres, pour avoir la plus belle voiture, les plus belles cornes (pour les cerfs). C'est la compétition encore qui explique l'attrait du m'as-tu-vu et du superflu, c'est elle qui fait vendre des 4X4 rutilants pour se pavaner en ville. Le 4X4 est accessoirement un moyen de transport, il est surtout un marqueur de prestige, de statut social élevé, il tente du moins d'en donner l'illusion. Et comme il a été vérifié chez les chimpanzés et autres cousins proches, les individus dominants ont un accès privilégié à la nourriture et au sexe... ce que nous recherchons tous. L'homme nouveau n'est pas encore né. Il est vrai qu'il faudrait construire une économie nouvelle. Mais il faut réussir à le faire avec les hommes tels qu'ils sont. C'est pourquoi les pieuses recommandations faisant seulement appel à la bonne volonté des hommes ("il faudrait"...) ne suffisent pas. À technique constante, une croissance continue est physiquement impossible
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Mise à jour : 27 mars 2022