Lobbying économique, lobbying idéologique
Les multinationales font du lobbying ; elles défendent leurs intérêts économiques. Les militants font du lobbying ; ils défendent leurs intérêts idéologiques.
L'évolution nous a légué un cerveau partagé ; une part de vieux cerveau reptilien, une part de jeune cerveau rationnel (Voir Tempête sous un crâne). Le cerveau reptilien est adapté pour réagir rapidement, en cas de danger par exemple. Il n'est pas là pour philosopher, pour s'embarrasser à peser le pour et le contre. Il voit le monde en noir ou blanc, attaquer ou fuir, manger ou être mangé, il n'a pas besoin de cinquante nuances de gris. C'est pourquoi il aime les discours simples qui présentent un monde simple avec des solutions simples ; les discours populistes par exemple. Ou encore un certain nombre de discours militants : "Fermons les centrales nucléaires, développons les énergies renouvelables, et nous aurons de l'énergie à profusion, sans risques" ; "Yaka ne plus utiliser de pesticides et tout le monde vivra repu jusqu'à 100 ans". On a vu dans les premières parties de ce livre combien ces discours réducteurs masquent la complexité de la réalité. Mais c'est justement cela qui plait au cerveau reptilien : des solutions simples, sans "prise de tête". C'est reposant de croire qu'il existe des solutions simples, parfaites, sans "effets secondaires" ; reposant d'oublier ces rabat-joie qui prétendent que même les plus belles médailles ont un revers. Le cerveau rationnel n'est pas dupe, il a bien compris que c'est trop bio pour être vrai. Mais le cerveau rationnel est trop jeune, on ne l'écoute pas, on ne s'intéresse pas à ses avis. C'est pourquoi si souvent nous nous laissons séduire par les discours simples. Tout le monde croit savoir ce que sont le lobbying et les lobbyistes. On pense à des manipulateurs qui agissent dans l'ombre pour faire pression, pour influencer dans le sens de leurs intérêts économiques. Mais ce n'est que la partie émergée de l'iceberg ; sous la surface il y a la foule innombrable des lobbyistes cachés auxquels on ne pense pas, qui font pression, qui influencent, comme n'importe quel lobbyiste, mais qui le font sans rechercher le moindre intérêt économique. Parce que leur intérêt n'est pas économique, il est d'une autre nature, leur intérêt c'est la diffusion de leurs idées, de leurs convictions. Cela aussi est du lobbying, du lobbying idéologique, même si nous ne le percevons pas comme étant du lobbying. Le lobbyisme idéologique est partout ; la défense de la cause animale c'est du lobbyisme ; l'opposition à l'avortement, au nucléaire civil, aux OGM, c'est du lobbyisme... Même un prêtre, un imam, un rabbin, sont des lobbyistes [0] ; eux aussi prêchent pour leur chapelle, eux aussi défendent leurs intérêts, mais ces intérêts-là ne se comptent pas en euros ou en dollars, mais en âmes conquises. Le Vatican, Jérusalem, La Mecque, en connaissent les taux de change, mais pas la City. Une forêt de lobbying idéologique se cache derrière l'arbre du lobbying économique. Greenpeace, une multinationale du lobbying !Les organisations écologistes aussi sont des lobbyistes. Greenpeace par exemple se présente elle-même comme comme telle :
« Informations & Pressions […] Il s'agit ensuite de faire pression sur les décideurs, élus, responsables administratifs ou chefs d'entreprises […] « Greenpeace est un réseau d'organisations indépendantes présentes dans 55 pays […] Greenpeace dénonce le "lobbying des multinationales"... Elle a su se vendre auprès des médias et du public, qui aiment les histoires de petits qui résistent aux gros. Un thème vieux comme l'humanité et très vendeur. David contre Goliath ; Astérix contre les Romains ; le Petit Poucet contre l’ogre ; les petits (mais malins) militants de Greenpeace dans leur petit canot qui défient les gros méchants (et balourds) dans leur gros baleinier ; la frêle Greta Thunberg face au monde entier ; le petit cultivateur face au gros propriétaire terrien, ou le petit agriculteur contre l'ogre Monsanto… Le peuple applaudit, c'est la bonne clef pour que les portes des médias s'ouvrent toutes grandes devant les petits héros de Greenpeace. On peut même souligner que Greenpeace est peut-être la seule multinationale au monde qui n'a aucune autre activité que le lobbying. Greenpeace ne fabrique aucun objet, ne rend aucun service : son fond de commerce c'est le lobbying, uniquement le lobbying. Mais Greenpeace tient à souligner qu'il s'agit de lobbying idéologique et se drape d'une farouche indépendance à l'égard de l'argent. « Cette indépendance politique repose sur une indépendance financière totale » ( Greenpeace - valeurs - vu en juin 2021) Il faut connaître ici les subtilités de la notion d'indépendance dans l'univers militant. Vous êtes chercheur, vous travaillez pour des laboratoires de recherche des universités, pour les Académie de médecine, des sciences, pour l'OMS, les agences gouvernementales... et vous avez l'impudence de monnayer vos compétences contre salaire. Contre salaire ? C'est scandaleux !, vous n'êtes pas indépendant. Vous êtes un Prix Nobel, le meilleur connaisseur au monde dans votre domaine, sollicité par une entreprise désireuse de profiter de votre expertise, contre une juste rétribution. Vous êtes rétribué ? ... Alors vous n'êtes pas indépendant. Cet argent que vous osez accepter d'une façon aussi éhontée a une odeur, une odeur de conflit d’intérêts. Greenpeace, elle, ne reçoit aucun salaire. Greenpeace ne reçoit que des dons, et s'en glorifie comme si ça changeait tout. « Le financement de Greenpeace France est assuré à 100% par ses donateurs individuels et privés. » (Greenpeace transparence financière) Greenpeace voudrait faire croire qu'il s'agit de dons gratuits, sans aucune contrepartie. Ce sont en réalité des paiements pour les actions de lobbying qui sont le fonds de commerce de Greenpeace. Les dons sont le salaire des "exploits" de Greenpeace, qui est dépendante, prisonnière, des voeux des donateurs ; elle se doit de faire parler d'elle, d'être en première page des journaux, elle est payée pour ça. Les donateurs réclament des actions contre les OGM, alors Greenpeace fauche. Le taux de change dans l’au-delàC'est ainsi que nous tombons dans le piège du lobbying "Canada dry", le lobbying trompeur des organisations qui ont la couleur d’une organisation indépendante, l’odeur d’une organisation indépendante… Indépendante de l'argent – sauf l'argent des donateurs [1] – mais dépendante d’une idéologie. La pire dépendance, on ne s'en libère pas, elle est en nous. L’argent ? La belle affaire ! Il est vrai que l'intérêt économique est un moteur puissant des actions humaines, souvent de mauvaises actions. Mais l'argent est peu de chose face aux passions, aux idées, aux idéologies. Des hommes ont donné leur vie pour une idée de liberté, de patrie, etc., sans demander le moindre argent ; « mourir pour des idées, c'est leur raison de vivre » (Georges Brassens). Le kamikaze qui décollait vers sa mort ne demandait aucun argent. À quoi bon d'ailleurs, puisqu'on ne sait même pas quelle est la monnaie utilisée dans l'autre monde – sesterce, yuan, euro, ou pétales de roses – ni quel est le taux de change. Agriculture biologique et lobbyLa promotion de l'agriculture biologique aussi est un lobbying. La FNAB, Fédération Nationale d'Agriculture Biologique, décrit ses activités de lobbying pour incliner les décisions politiques du pays dans le sens de son idéologie (et de son bizness). « La FNAB, par ses actions transversales sur les politiques publiques travaille à une plus grande visibilité et reconnaissance de la Bio dans la législation agricole. [...] "Achetez mes produits bio. Le soft power des militantsNous avons raison de ne pas croire sur parole les boniments du lobbyiste commerçant qui vante ses produits – plus ou moins de bonne foi. Mais pourquoi sommes-nous si naïfs en buvant sans modération les boniments des lobbyistes militants ? Parce que les militants ne vendent aucun produit ? Mais si ! Ils vendent leur idéologie, leurs phobies et leurs rêves, avec des boniments de vendeurs – plus ou moins de bonne foi. ... Et ça marche, les auditeurs envoûtés suivent le joueur de flûte. Le lobbying idéologique est plus puissant que les valises de dollarsLe lobbying des valises de dollars, des cadeaux, des pots-de-vin, est impuissant face au lobbying idéologique des militants, car à défaut de dollars ils ont la bonne clef, celle des médias. Qu'entendons-nous à longueur de journée à la radio, à la télévision ? Le "lobby de l'agriculture conventionnelle" ? Non. On entend le lobby des marchands de bio demander l'obligation du bio dans les cantines... On entend les publicités qui se gargarisent de bio et de nature... A-t-on jamais entendu à la télévision un chercheur exposer les bénéfices écologiques des OGM BT ? (Les OGM Bt : moins d'insecticides, plus de biodiversité et d'abeilles) Ou s'inquiéter des menaces que l'agriculture bio fait peser sur la forêt ? (Pour nourrir les hommes et sauver la forêt il faut augmenter les rendements agricoles) Ce n'est pas par l'argent, mais par la parole, que les militants prennent le pouvoir, le soft power. Ils prennent le contrôle des esprits, pouvoir sournois, d'autant plus redoutable que nous n'avons pas conscience d'en être victime – et donc n'avons aucune velléité de résistance ou de révolte. Aucun lobbying économique, aucune société multinationale, aussi riche à milliards soit-elle, ne peut espérer lutter contre la formidable emprise médiatique des militants, qui lave les cerveaux plus vert que vert de tout esprit critique. La réussite du lobbying idéologique est telle que les entreprises copient la formule : elles ont inventé le greenwashing qui fabrique plus vert que vert. Et les partis politiques prennent le train en marche en promettant un avenir vert, un océan vert, un soleil vert. Suivez mon panache vert. Même les églises "se mettent au vert" avec un label "Église Verte" (egliseverte.org - vu en avril 2020). Peut-être pour faire oublier cette fameuse injonction qui n'était pas très écologique : « Soyez féconds et prolifiques, remplissez la terre et dominez-la, soumettez les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et toute bête qui remue sur la terre... » (Genèse 1:28). Le zapping du prédicateurLe matraquage médiatique et le soft power sont des mots nouveaux pour exprimer des réalités anciennes. Au Moyen Âge il n’existait ni radio ni télévision, mais il existait aussi efficace peut-être, le prédicateur… De noir vêtu, il tonnait du haut de sa chaire, et faisait autant que télévisions et journaux réunis ; plus peut-être, car on ne pouvait pas le zapper, il était la chaine unique. L’envie de zapper devait pourtant être forte, car le programme était toujours le même : "Tout va mal, et c’est de votre faute, votre très grande faute". Le pauvre fidèle écoutait, tête courbée, frissonnant d’effroi dans l’attente des châtiments annoncés. Savonarole avait terrorisé les Florentins en dépeignant les tourments qui les attendaient en enfer. Jusqu’à ce que les Florentins, excédés, le brûlent en place publique ; zapping ultime. Heureusement, il y avait une solution : "Tout cela est de votre faute, votre très grande faute, mais maintenant fini de rigoler ! Repentez-vous d’avoir pris du bon temps, faites carême, jeûnez le vendredi…" Aujourd’hui, nous avons laissé d’autres prêcheurs prendre le contrôle de nos esprits. Ils sont de vert vêtus maintenant, et même si « dans la nouvelle Église de Sciencécologie, il n'y a pas que des Khmers verts et des talibios, des bonimenteurs et des climastrologues » (Olivier Péretié), ils nous servent le même vieux catéchisme : "Tout cela est de votre faute, votre très grande faute, mais maintenant fini de rigoler ! Repentez-vous de vos agapes consuméristes, faites carême de pétrole, utilisez des énergies vertes le vendredi…"
[0] Le site "famille chrétienne" est stupéfié de le découvrir : L’Église bientôt considérée comme un lobby en France ? - 2016 [2] Si bien illustré par Albert Camus, dans La Peste, par le fameux sermon du père Paneloux : « Mes frères, vous êtes dans le malheur, mes frères vous l’avez mérité. » [3] « […] d'où vient que la ville a été ainsi ébranlée, […] il reste bien avéré que cela vient des péchés, de l'avarice, des injustices, des prévarications, de l'orgueil, de la sensualité, du mensonge. » (Saint Jean Chrysostome, qui ne connaissait pas la dérive des continents ; après un tremblement de terre à Antioche vers l'an 400.)
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Mise à jour : 2 novembre 2022