Une écologie réaliste
Sans dogmes
Qui veut troquer un seul aujourd’hui contre deux hier ?
Dans le "bon" vieux temps les hommes subissaient les caprices de la nature. La disette et la famine étaient toujours là en embuscade, profitant du moindre épisode trop pluvieux, trop sec, trop froid, trop chaud… Nous avons troqué les famines du passé contre d'infimes résidus de pesticides... Nous avons troqué le travail des enfants aux champs ou à la mine contre l’école, l'eau polluée de la rivière contre l'eau saine du robinet, etc. Avons-nous perdu au change ?
Dans le "bon" vieux temps les hommes subissaient les caprices de la natureAux premiers temps les hommes subissaient les caprices de la nature – ouragans, sécheresses, et surtout, disettes et famines. « La France, pays privilégié s'il en fut, aura connu dix famines générales au Xe siècle, vingt-six au XIe, deux au XIIe, quatre au XIVe, sept au XVe, treize au XVIe, onze au XVIIe. » (Fernand Braudel, Civilisation matérielle, économie et capitalisme) Ils tentaient de s’en défendre en priant les saints – saint Roch et saint Sébastien étaient particulièrement efficaces contre la peste, dit-on – ou par des danses de la pluie ou autres processions et rogations, ou encore en brûlant quelques juifs pour vraiment mettre toutes les chances de son côté… Efficacité non garantie ; pour se protéger du tonnerre de Zeus il vaut mieux installer un paratonnerre. Lorsque la technique leur a enfin donné quelque pouvoir, les hommes, machos, ont tenté d’imposer leur loi à la nature, faisant travailler la terre et passant tous les soirs pour prélever les gains et les grains. Maintenant la terre produit presque suffisamment. Les hommes, au moins dans les pays développés, devraient être satisfaits. Mais non ! Ils ont déjà oublié les famines et les épidémies d'hier et pleurent que c'était mieux avant, que le bon vieux temps est perdu... Les fins gourmets froncent le nez et font leur délicat devant les tomates d'aujourd'hui ; "Des tomates ça ! ? - non, c'est de la malbouffe". Ils rêvent de variétés anciennes, cultivées comme au bon vieux temps. La tomate est une immigréeCe qu'ils oublient, c’est que si nous pouvons manger des tomates aujourd’hui en Europe, des bonnes et des moins bonnes (il y en a de vraiment moins bonnes), c’est parce que nos ancêtres ne craignaient pas la nouveauté, ils allaient de l'avant et osaient ces changements qui nous terrifient et nous paralysent aujourd'hui. Ils ont domestiqué les plantes et les animaux, créé des variétés nouvelles, défriché les terres vierges. Ils ont même bravé l'océan à la recherche de nouveautés, et bingo !, ils ont découvert un Nouveau Monde tout entier. Ils en ont rapporté, vous savez quoi ? Des tomates ! Autrefois il n’y avait aucune tomate malbouffe en Europe : il n'y avait pas de tomates anciennes non plus ; il n’y avait pas de tomate du tout ! Ni tant d'autres plantes : « [Ces plantes…] Vous les croyez méditerranéennes. Or, à l’exception de l’olivier, de la vigne et du blé, des autochtones très tôt en place – elles sont presque toutes nées loin de la mer. Si Hérodote, le père de l'histoire qui a vécu au Ve siècle avant notre ère, revenait mêlé aux touristes d'aujourd’hui, il irait de surprise en surprise. Je l’imagine, écrit Lucien Febvre, « refaisant aujourd’hui son périple de la Méditerranée orientale. Que d’étonnements ! Ces fruits d’or, dans ces arbustes vert sombre, orangers, citronniers, mandariniers, mais il n’a pas le souvenir d’en avoir vu de son vivant. Parbleu ! Ce sont des Extrême-Orientaux, véhiculés par les Arabes. Ces plantes bizarres aux silhouettes insolites, piquants, hampes fleuries, noms étrangers, cactus, agaves, aloès, figuier de Barbarie – mais il n’en vit jamais de son vivant. Parbleu ! Ce sont des Américains. Ces grands arbres au feuillage pâle qui, cependant, portent un nom grec, eucalyptus : oncques n’en a contemplé de pareils. Parbleu ! Ce sont des Australiens. Et les cyprès, jamais non plus, ce sont des Persans. Tout ceci pour le décor. Mais, quant au moindre repas, que de surprises encore – qu’il s’agisse de la tomate, cette péruvienne ; de l’aubergine, cette indienne ; du piment, ce guyannais ; du maïs, ce mexicain ; du riz, ce bienfait des Arabes, pour ne pas parler du haricot, de la pomme de terre, du pêcher, montagnard chinois devenu iranien, ni du tabac. » Pourtant tout cela est devenu le paysage même de la Méditerranée : « Une Riviera sans orangers, une Toscane sans Cyprès, des éventaires sans piment… quoi de plus inconcevable, aujourd’hui, pour nous ? ». (Lucien Febvre, annales, XII, 29) [Cité par Fernand Braudel dans La Méditerranée – L’espace et l’histoire – Champs – Flammarion] Nous sommes aujourd'hui paralysés par une frilosité passéiste ; la nouveauté nous effraye, nous prenons des précautions par principe et n'osons plus aller de l'avant. Nos ancêtres au contraire ont osé l'aventure et grâce à eux nos jardins sont plus beaux, nos tables mieux garnies. La tomate est une immigrée, et les Napolitains applaudissent ; que serait une pizza sans tomate ? Aujourd'hui les disettes et famines sont en voie de disparition, nous pouvons nourrir sept milliards de Terriens ; c'est peut-être une juste rétribution céleste des danses de la pluie et des processions… mais certainement aussi le fruit de la hardiesse des hommes et des nouvelles techniques agricoles qu'ils inventent. La nature seule est maintenant insuffisantePourtant, en dépit de cette réussite, au lieu de couvrir d’éloges les hommes si inventifs et si actifs, on les accuse ! On les accuse d’utiliser des moyens artificiels, des insecticides, des engrais, des OGM… On les accuse de ne pas se satisfaire de la vie naturelle des temps anciens ; on voudrait qu'ils reviennent en arrière, qu’ils installent leur campement comme autrefois, au bord du ruisseau dans le petit vallon, et mènent une vie simple et tranquille au rythme du ciel et des saisons, des nuages et du vent. Car on a dit aux premiers hommes « croissez et multipliez ». Et ils l’ont fait, les bougres ! Nous sommes aujourd’hui sept milliards, sept milliards de ventres à nourrir. Pour assurer les besoins vitaux de sept milliards d'existants, les nourrir, les habiller, les loger, pour tout cela il a fallu inventer la sarclette et la binette, puis pesticides, engrais, tracteurs, etc.. Il faut donc des mines, des usines, des centrales électriques, et donc des universités, des livres, des imprimeries, des laboratoires de recherche, et donc des villes, des routes, des avions, des cargos, des pétroliers... les choses ne peuvent plus être comme avant, comme au temps où il n'y avait sur terre que quelques rares tribus cueillant une poignée de baies dans la forêt. Une poignée de baies ça va, sept milliards de poignées de baies, bonjour les dégâts. La nature seule est maintenant insuffisante. Le vieux conseil des Écritures de ne rien faire, comme les oiseaux du ciel qui ne sèment ni récoltent, ne fonctionne plus [1]. Nous avons brûlé nos vaisseaux, nous ne pouvons plus revenir en arrière : pour nourrir cette multitude la seule voie possible est d'aller de l'avant, de nouvelles découvertes, de nouvelles techniques, sont encore nécessaires – même si les nouvelles techniques inquiètent, à tort ou à raison. Avons-nous perdu au change ?
Jamais nous n’avons autant craint d’être empoisonnés par l’air que nous respirons, l’eau que nous buvons, le pain que nous mangeons. Pourtant, jamais nous n'avons vécu aussi longtemps en bonne santé, jamais l’espérance de bonne vie n’a été aussi élevée, affolant les gestionnaires des organismes de retraite.
Les nouvelles techniques inquiètent, c'est naturel, toute nouveauté peut présenter des risques nouveaux – aucun ménestrel chanteur n'est décédé par électrocution dans sa baignoire au Moyen Âge ; il n'y avait pas de baignoires. Mais il faut considérer aussi que c'est grâce aux nouvelles techniques que les famines, pestes, et autres calamités massives ont été vaincues. Nous avons troqué les famines du passé contre d'infimes résidus inoffensifs de pesticides. La charrue bucolique et les bœufs contre des tracteurs ; le travail des enfants aux champs ou à la mine contre l’école. Les amputations à la scie sans anesthésie contre l'hôpital d'aujourd'hui. L'eau polluée de la rivière contre l'eau potable du robinet. L’air pollué par les lampes à huile et les fumées du feu de bois contre le chauffage central et l’électricité. Les épidémies et la mortalité infantile contre les vaccins.
Avons-nous perdu au change ? Nous en avons l'illusion car nous avons oublié les famines, les épidémies, la vie harassante du bon vieux temps. Nous ne voyons plus la réalité du bon vieux temps, mais seulement le rêve que nous en avons, le rêve d'une partie de campagne ensoleillée, dans la paix de la verdure si ce n'est le chant des oiseaux, le murmure d'un ruisseau, le souffle de la brise... Nous comparons ce rêve aux nuisances bien réelles du monde d'aujourd'hui, les usines, les autoroutes, les supermarchés, les embouteillages, le bruit, la foule... il n'y a pas photo, le rêve est bien plus envoûtant. Pour autant, sommes-nous vraiment prêts à troquer un seul aujourd’hui, même imparfait, contre deux bons vieux temps ? [...]
[1]
« Regardez les oiseaux du ciel : ils ne sèment point, ils ne moissonnent point, et ils n’amassent rien dans des greniers : mais votre Père céleste les nourrit [...]
Ne vous inquiétez donc point en disant : Que mangerons-nous, ou, que boirons-nous, ou de quoi nous vêtirons-nous ? Ce sont les païens qui recherchent toutes ces choses ; et votre Père céleste sait que vous en avez besoin. Cherchez donc premièrement le Royaume de Dieu et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît. » (Mt VI 25-33). La Fontaine a illustré que, pour la cigale au moins, la recette ne fonctionne pas lorsque la bise est venue… Mais ce ne sont là que fables et paraboles...
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Mise à jour : 3 décembre 2020
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